Doit-on prendre en compte l’avantage fiscal lors de la liquidation du préjudice de la victime de dommage corporel ?

Toute victime d’un dommage corporel, résultant d’un fait pénal, d’un accident causé par un tiers ou dans le cadre d’un contrat garantie accident de la vie, peut avoir la nécessité de recourir à une aide, en post hospitalisation.

En convalescence, la victime de dommage corporel ne pourra pas, compte tenu de ses blessures, effectuer les actes de la vie courante.

Définie par la nomenclature Dintilhac, cette aide s’appelle l’assistance par tierce personne :

« Ces dépenses sont liées à l’assistance permanente d’une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne. Elles visent à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d’une tierce personne à ses côtés pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie. »

Cette aide, par tierce personne, peut consister notamment en :

  • Effectuer les tâches ménagères, 
  • Emmener les enfants à l’école, 
  • Faire les courses, 
  • S’occuper du jardin, 
  • Emmener la victime à ses rendez-vous médicaux, 
  • Lui faire les repas… 

Aide de la victime par la famille ou par des professionnels ?

Cette aide est généralement apportée par les membres de la famille. Dans cette hypothèse, la question de l’imputation du crédit d’impôt ne se pose pas puisque la victime n’en bénéficie pas, sauf à déclarer le membre de la famille comme « aidant ». Il en va différemment lorsque la victime de dommage corporel fait appel à l’aide d’un prestataire de service (femme de ménage, jardinier…). Comme tout particulier qui emploie un prestataire de service à domicile, la victime de dommage corporel bénéficie alors des dispositions de l’article 199 sexdecies, Code général des impôts.

Ainsi, cet article permet à tout contribuable de réduire, à hauteur de 50 % des sommes versées en rémunération des services à la personne mentionnés à l'article D. 7231-1 du Code du travail dans la limite des plafonds fixés, les frais qu’il expose lorsqu’il recourt à de telles prestations.

La question s’est alors posée au juge administratif de savoir si une victime pouvait obtenir une pleine et entière indemnisation de ce poste de préjudice, alors même qu’elle bénéficie d’un crédit d’impôt de 50%.

Règles de base en matière d’indemnisation du préjudice corporel

En droit, la réparation intégrale de la victime d’un préjudice corporel est un principe fondamental qui commande de replacer la victime aussi précisément que possible dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'accident ne s'était pas produit. 

De plus, la victime ne peut pas obtenir une double indemnisation pour le même dommage. Ainsi, la Cour de cassation rappelle :

« Attendu que les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte, ni profit » (Civ. 2ème, 5 juillet.2001, n°99-18.712, bull. n°135).

Seuls les dommages imputables à l’accident doivent être laissés à la charge du responsable (Civ. 2ème , 9 avril 2009, n°08-13.037)

Réponse du juge administratif

Le juge administratif, dans le cadre d’un contentieux de droit médical, a donc dû s’interroger sur la réduction du crédit d’impôt sur l’assistance tierce personne lorsque celle-ci a été effectuée par un prestataire de service.

Pour fixer le montant du préjudice de la victime, le juge doit il réduire l’indemnisation compte-tenu de ce crédit d’impôt ?

Exemple : une victime fait appel à un prestataire de service pour 24 € de l’heure.

En raison du crédit d’impôt, lors de sa déclaration d’impôt, la victime pourra déclarer ces heures payées, et bénéficiera sous réserve d’un plafond, d’un crédit de 50%.

Le coût du prestataire de service lui revient donc à 12 € de l’heure.

Or, la jurisprudence indemnise la tierce personne professionnelle à une fourchette comprise entre 18 et 25€ de l’heure.

Dès lors, le juge peut-il allouer à la victime de dommage corporel une indemnité au titre de l’assistance par tierce personne professionnelle de 24€ de l’heure, sachant toutefois que le coût réel pour la victime de dommage corporel est finalement, après crédit d’impôt, de 12 € ?

Par un arrêt du Conseil d’Etat 30 septembre 2022, n° 460620, le juge administratif a répondu à ces interrogations.

« Lorsque le juge administratif indemnise la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, il détermine d'abord l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir. 

Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. 

Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il appartient ensuite au juge de déduire du montant de l'indemnité allouée à la victime au titre de l'assistance par tierce personne les prestations ayant pour objet la prise en charge de tels frais. (…)

Le 3ème de cet article 199 sexdecies précise que l'assiette des dépenses qui ouvrent droit à cet avantage fiscal ne comprend que les dépenses effectivement supportées par le contribuable, ce qui en exclut les dépenses faisant l'objet d'une indemnisation par l'auteur d'un dommage corporel au titre du besoin d'assistance par tierce personne qui y est lié. 

4. Il s'ensuit qu'il appartient au juge, lorsqu'il arrête le montant dû en réparation des frais d'assistance à tierce personne qui seront exposés postérieurement à sa décision, d'allouer une indemnité permettant de prendre en charge le besoin d'assistance de la victime, sans qu'il y ait lieu d'opérer de déduction au titre du crédit d'impôt, que celle-ci ait recours à une assistance salariée ou à un membre de sa famille ou un proche. La réparation intégrale ainsi accordée fera obstacle à ce que le contribuable puisse bénéficier du crédit d'impôt au titre des prestations de service assurées par un salarié ou une association, une entreprise ou un organisme déclaré et dont cette indemnité aura permis la prise en charge.

5. Il en va en revanche différemment lorsque le juge arrête le montant dû en réparation des frais d'assistance à tierce personne qui ont été exposés antérieurement à sa décision, que l'état de santé de la victime a nécessité le recours à une assistance qui a été assurée par un salarié ou par une association, une entreprise ou un organisme déclaré, et que celle-ci a effectivement bénéficié à ce titre de l'avantage fiscal prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts. Dans un tel cas, il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 ci-dessus qu'il appartient au juge de déduire, au besoin d'office, au même titre que les prestations mentionnées au point 2, le montant de l'avantage fiscal perçu, dans la mesure où il correspond à une telle assistance, de l'indemnité mise à la charge de la personne publique en faisant, si nécessaire, usage de ses pouvoirs d'instruction pour déterminer le montant à déduire.

Cette déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement si le bénéficiaire revient à meilleure fortune. »

Ainsi, le Juge prend en compte le crédit d’impôt pour arrêter le montant indemnitaire revenant à la victime au titre de l’assistance par tierce personne, pour les sommes d’ores et déjà réglées avant son jugement.

Pour les sommes à venir, c’est-à-dire l’assistance par tierce personne (après consolidation), le Juge ne retient pas le crédit d’impôt puisqu’il s’agit de dépenses à venir, et non d’ores et déjà effectivement exposées par la victime.

Cette décision est respectable et conforme aux principes fondamentaux en droit du dommage corporel, en ce que ce crédit d’impôt est purement hypothétique.

Il ne doit donc pas être pris en compte.

Retour
Vous souhaitez nous contacter ?
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide
Ce champ est invalide